Prix COAL 2020 : RENCONTRE AVEC PAUL DUNCOMBE, LAURÉAT

Prix COAL 2020 : RENCONTRE AVEC PAUL DUNCOMBE, LAURÉAT

PROJET LAURÉAT DU PRIX COAL 2020

Paul Duncombe est né en 1987. Il vit et travaille à Caen, France.

Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Paul Duncombe explore les différentes échelles du paysage. Ses recherches successives, sur les banquises du Labrador, les tempêtes en mer Celtique, les forêts boréales, ou encore les terres irradiées de Fukushima, mettent en relation la simplicité apparente des œuvres de la nature avec la technicité croissante des sociétés modernes. Du simple geste aux installations monumentales les plus complexes, ses travaux traversent les frontières et les disciplines, en s’appuyant sur des collaborations avec des spécialistes de tous horizons : biologistes, géologues, astrophysiciens, guides de haute montagne…multipliant ainsi les points de vue et les expériences. Il développe et expose ses projets en France : Le 104, 63e Salon de Montrouge, Palais de Tokyo, Galerie Thaddaeus Ropac et à l’étranger : Unicorn Center for Art (Beijing), Coopérative Méduse (Québec), Kyoto Art Center (Kyoto).

MANICOUAGAN

Surnommé l’Œil du Québec, le cratère d’impact Manicouagan est l’un des plus grands et des mieux préservés sur Terre. D’un diamètre de 100 km, il s’est formé il y a 214 millions d’années suite à la chute d’une météorite de 8 km. Perdu au milieu du Québec, l’Astroblème, aujourd’hui classé Réserve Mondiale de la Biosphère par l’UNESCO, abrite une faune, une flore et des particularités géologiques uniques. L’origine extra-terrestre de ces reliefs, l’histoire autochtone du territoire et l’engloutissement artificiel de vastes forêts par les eaux, donnent au site une aura mystique.

Paul Duncombe souhaite prolonger à Manicouagan son travail de recherche entrepris depuis 2015 en collaboration avec des naturalistes et des géologues, sur la violence des extinctions de masses et les impacts météoritiques. À partir de prélèvements physiques et numériques réalisés sur place lors d’une expédition en toute autonomie, accompagné d’une équipe pluridisciplinaire, il s’agira de représenter l’ensemble des mécanismes ayant conduit à la reconquête du site par les végétaux, les insectes et autres espèces vivantes, jusqu’aux premières nations.  Dans l’esthétique des missions d’exploration spatiales (réelles et fictives), une station électronique artisanale sera déployée dans le cratère. Avec la poésie inhérente à la naïveté du regard artistique face aux créatures et phénomènes naturels observés, ce laboratoire créatif se déploiera à la poursuite du sublime, des beautés contingentes et des preuves d’un absolu caché dans la nature.

À l’ère du numérique, dans un monde désormais cartographié, rationalisé, et conscient de sa finitude, ce dispositif à la fois technologique et artisanal, numérique et physique, à la croisée des sciences, du naturalisme, du survivalisme et des cultures « makers », permettra la réinvention ou la réintroduction de sens et de liens entre la crise historique initiale, la renaissance biologique du site, et les crises modernes, présentes ou à venir.

 

Quel est votre premier rapport sensible avec le vivant ?

L’observation, la compréhension et le respect du vivant font partie de mon éducation. C’est un héritage culturel important. J’ai la chance d’avoir grandi proche de la nature, entouré de toutes sortes de créatures, et c’est toujours le cas. Comme rapport sensible déterminant, je pense à des situations concrètes comme les opérations de démazoutage des oiseaux marins à Lorient en 1999/2000 avec la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux). Ces expériences dans ma jeunesse ont très certainement contribué à ma sensibilité actuelle : la nature est devenue un espace que l’on peut définir par les phénomènes anthropiques qui la détruisent et je recherche le potentiel esthétique de ce déséquilibre entre les puissances industrielles contemporaines et la fragilité du vivant ; entre une plume souillée et les 30 000 tonnes d’un pétrolier, pour illustrer l’exemple précédent. Il y a une part de sublime dans ces rapports de forces délétères, entre l’humanité et la nature, entre la civilisation et le vivant.

Comment est né votre intérêt pour les impacts météoritiques sur le vivant ?

Il faut se représenter un projectile de plusieurs kilomètres traversant l’atmosphère en à peine un clignement d’œil. La liquéfaction instantanée de la roche sur 10 000 mètres de profondeur. Une épaisse colonne de matière qui s’élève jusqu’à la stratosphère, puis enveloppe la planète entière. Des séismes de magnitude 12, des raz-de-marée dévastateurs, des irruptions volcaniques, des tempêtes de feu, des incendies généralisés… et dans ce chaos, la vie, qui se heurte violemment à la matière.
Lorsque l’on s’intéresse au cosmos, il est moins question de la fragilité du vivant que de son absurdité. L’histoire de l’univers est celle d’une série de catastrophes démesurées et certaines cicatrices à la surface de la Terre nous rappellent que nous sommes de passage dans ce récit fait de trajectoires célestes, de matières en fusion et de particules. La beauté de ce qui nous entoure vient de là, de cette dérive sidérante, de la contingence des évènements et de la finitude du vivant dans cette éternité minérale. Ici aussi je m’intéresse au déséquilibre entre ces différentes forces et à la résilience des espèces animales ou végétales. Un astroblème est un musée à ciel ouvert, un mémorial qui parle de la fin du monde mais aussi du recommencement.

Comment avez vous découvert l’astroblème de Manicouagan ?

Lors d’une résidence en 2015 au Québec, je suis parti vers la Côte-Nord, jusqu’au Labrador, initialement à propos de « l’Iceberg Alley ». Il n’y a qu’une seule piste à travers la forêt et celle-ci mène à l’astroblème de Manicouagan. Pour un humain moyen, l’horizon se situe à environ 5km et ce cratère en fait 100. C’est là que j’ai pris toute la mesure de cette incroyable violence et de ses répercussions supposées sur le vivant, à l’échelle locale puis planétaire. Ces paysages brisés dévoilent en fait la véritable identité du monde et des créatures qui le peuplent. Quelque chose d’absolu, comme une implacable mécanique de chute, de gravité contre laquelle l’élan ascensionnel de la vie est en perpétuelle résistance. Hébergé à la station scientifique Uapishka, j’ai commencé à me documenter et à dialoguer avec des scientifiques qui travaillaient sur le site. Cela a amorcé une série de projets sur les crises biologiques : Trias-Jurassique, Crétacé-Paléogène, jusqu’à aujourd’hui l’extinction dite de l’Holocène.

Quel est votre rapport la science fiction ?

Quel qu’en soit la nature, les imaginaires développés dans les œuvres cinématographiques, littéraires, ou même les jeux vidéos, ne sont que le reflet de notre présent. Dans le foisonnement actuel de dystopies futuristes, qu’elles soient d’ordre technologique ou politique, il y a sans doute une part de prophétie autoréalisatrice. Selon moi, la science-fiction, nous sommes déjà en plein dedans, nous la vivons au quotidien. C’est donc une influence majeure dans mon travail artistique.

Quel est votre engagement environnemental en tant qu’artiste et citoyen ?

La nature est aussi un espace politique et j’ai parfois été impliqué dans des actions écologistes plus militante. Mais je pense aujourd’hui que le réel engagement c’est la sobriété. C’est un objectif particulièrement difficile à atteindre. En attendant, je suis extrêmement attaché à la ruralité. Cette proximité avec le terrain et les individus qui le vivent au quotidien, me permet de m’impliquer dans des projets de toutes natures, d’être dans l’expérience, la pratique et le concret, dans quelque chose qui ressemble à la réalité.

Comment imaginez-vous le monde qui vient ?

La nature n’a pas besoin d’être sauvée, c’est l’humanité qui est en danger : nous vivons dans un modèle désuet, dans l’illusion et la torpeur. « Une autre fin du monde est possible » cet adage contemporain pourrait devenir un principe d’action populaire partagé, un programme d’existence : nous devons réinventer notre rapport au monde, à la nature, au vivant, à l’autre, et je crois que les artistes y travaillent !

 

Image à la une : Paul Duncombe, Québec, 2015

 

 


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